Le 30 mai dernier, le binôme annécien Famille Nombreuse, composé de Fuego et Honey, s’associait au beatmaker Slime Castro pour accoucher du EP Reste Dangereux, nouvelle étape d’une carrière pas comme les autres. Ici on passe le plus naturellement du monde d’une évocation de Lalcko à des blagues on ne peut plus régressives en passant par des clins d’œil à des memes et plusieurs taquets sur certains fâcheux (« mon chien il s’appelle Damien Rieu, c’est un chihuahua croisé fils de pute « , pour les fins gourmets), le tout sur fond d’hommage constant à leurs influences américaines, majoritairement le rap du Sud mais aussi de Detroit. Avec une préférence qui vire à l’obsession pour Lil Wayne, au point qu’ils ne s’appellent pas « zin » mais « zi » (Weezy, tout ça), dans la vie comme sur disque. Si à première vue leur musique peut sembler marquée par un je-m’en-foutisme permanent, une écoute plus attentive révèle un univers plus réfléchi qu’il n’y paraît et surtout, un côté bien trop pointu dans les références pour cacher leur amour indéfectible du rap et tout ce qui l’entoure. Rencontre avec un duo aussi passionné que décomplexé pour un entretien au long cours. Et encore, il a fallu couper pas mal de choses, dont des digressions sur l’importance d’Intouchable, les coups de langue de Rohff dans le clip Pour Ceux, un souvenir de vinyle d’Expression Direkt conservé religieusement, l’autobiographie de Manu Key que Fuego a lue dans le train qui l’amenait à Paris, le DVD Menace sur la Planète Rap et pas mal d’autres calembredaines.
Vous avez commencé comment ?
H : Je rappe depuis que j’ai 9 ans, j’en ai 26 aujourd’hui. J’ai commencé après avoir découvert Lil Wayne.
F : Je rappe depuis que j’ai 13 piges, 24 aujourd’hui. J’ai toujours écouté du rap, FR ou US, et on s’est rencontré peu de temps après que j’ai commencé du coup pour moi, c’est comme si on rappait à 2 depuis toujours. Pour moi, le groupe parfait, c’est PNL dans le sens où tu te dis « je les préfère en groupe », tellement ils sont bien ensemble, c’est ça le but. Notre équipe, le collectif BGF arrive après, ça inclut Famille Nombreuse, avec AzBDN, beatmaker qui est avec nous depuis toujours. Plus tard, on rencontre une autre équipe plus large et c’est là que ça devient BGF. Globalement, c’est Famille Nombreuse au sens large, ça inclut tous ceux qui nous entourent et qui évoluent dans des métiers artistiques un peu auto-entrepreneurs : beatmakers, breakeur, y’a même un coiffeur. On vient tous d’Annecy et des alentours.
En gros Famille Nombreuse c’est Diplomats et BGF ce serait Dipset.
H : c’est ça.
En dehors de vos projets officiels, il y en a des plus anciens sur soundcloud, ça correspond à quoi ?
H : Ce sont mes 1ers trucs perso en fait. Pas vraiment relié à Famille Nombreuse, parce que j’étais plus productif que lui à l’époque donc je balançais juste des trucs comme ça.
F : Y’a un projet commun qui n’est plus sur les plateformes et nos premiers feats avec des gars qui aujourd’hui sont en place, mais qu’on a supprimés parce que ça nous correspondait plus trop. Ils réapparaissent parfois sur YouTube. Notamment celui avec Osirus Jack. 667, on découvre ça au lycée, on demande le feat via les réseaux sociaux et voilà.
H : Nos 4 piliers, c’est vraiment Lil Wayne, Roi Heenok, Alkpote et Alpha 5.20. Après, en français, il y a aussi Kaaris, Jeune LC, Bon Gamin…
F : niveau US, le rap du Sud en général, de Houston à Memphis, même si ça reste Cash Money la plus grosse réf. Ici, l’école Néochrome, Zekwe, Seth, Farage etc., ça nous a nourris. Évidemment, on aborde nos thèmes à notre façon, musicalement, c’est une autre génération. Mais le travail d’écolier en écoutant Alk, les multi-syllabiques, etc…
H : on a une sorte de rigueur, on peut faire des sons en 15 min et d’autres en 15 h si on n’a pas trouvé la bonne rime.
Pour beaucoup de gens vous êtes étiquetés Detroit, quel est votre rapport à cette scène ?
H : Dès le moment où j’écoute quelque chose qui me plaît, j’ai besoin de le reproduire. Y’a 4 ans j’écoute City on my back (de Rio Da Yung OG NDLR) et ça me rappelle la bounce music, je vois ses lyrics, ses placements, donc je m’y essaie. Je fais écouter à Azz, qui me dit « mouais ». Mais Fuego kiffe.
F : Cette façon de parler-rapper colle avec le style de rappeurs que j’aime, y’a des 3 temps qui sortent de la mesure à la Despo… En plus les mecs sont inspirés par Juvenile etc donc on se dit qu’en vrai la filiation est naturelle. Puis le shit talk, nous on aime rigoler, l’autodérision, j’aime écouter des sons en me disant que les gars se sont amusés.
H : On peut pas dire que ça fait partie de nos piliers parce que c’est trop récent mais des mecs comme Icewear, Rio ou autre sont des inspis.
F : À l’inverse t’as un mec comme 50 Cent, c’est le 1er rappeur que j’écoute je crois donc Réussir ou mourir pour moi c’est un chef d’œuvre (rires), je voulais repasser des billets comme lui, juste pour le style. Pareil avec le fils de Master P, Lil Romeo juste parce qu’il avait mon âge. Y’avait une sitcom sur Canal J, Romeo Show, et je me dis « c’est moi ». Y’a même pas de « ouais faut qu’il soit blanc pour que je m’identifie » nan, je suis con, je veux les mêmes tresses carrément (rires).
H : En fait pendant un an on a fait du son, plein d’hommages à plein d’influences justement. Faute d’organisation on n’a rien sorti, et on commençait à les oublier sauf que notre clippeur Trapantino nous a dit non, faut en faire quelque chose. Au lieu de les jeter on les a sortis et ça a donné Les Oubliés.
F : Et ça coïncide avec le moment où on découvre la Detroit. Sauf qu’on aime écouter des albums, pas des playlists… Si demain Lil Wayne sort un album dans lequel il y a le meilleur son de tous les temps sauf que l’album c’est une playlist qui part dans tous les sens pour plaire à tout le monde, bah c’est un album nul. Donc on s’est tenus à une D.A Detroit presque entièrement. Surtout qu’à Detroit y’a différents styles donc c’est pas répétitif. Notre dernier projet est presque 100% Detroit, Reste Dangereux produit par Slime Castro et après on élargira. Plus on prend en visibilité plus on peut bosser avec des gens extérieurs qu’on kiffe.
H : Decembrrr et AzBDN sont nos potes, mais ça nous arrive de bosser avec des beatmakers qu’on contacte via internet, au coup de cœur.
F : Le but c’est pas d’avoir une équipe de beatmakers en cercle fermé, on est ouverts, par exemple Slime Castro nous a envoyé un pack de 5 prods, on a aimé et il s’est retrouvé à faire l’ensemble du projet. Et si ça peut permettre à nos beatmakers d’entrer en contact avec d’autres c’est cool aussi. Puis c’est différent : avec nos gars on donne des instructions, avec d’autres on découvre et on se laisse guider.
Côté autres sonorité US, un son comme REP Pimp Zi est assumé Texas/Houston à fond et bien sûr il y a Texas Français.
F : Typiquement, c’est vers ça qu’on veut tendre pour la suite. Reste Dangereux est un hommage à un projet commun de rappeurs US qu’on aime. En observant notre discographie, on se rend compte qu’on n’a pas forcément représenté le style qu’on a le plus écouté et en vrai, on s’en fout que ce son de Houston soit vu comme du passé, surtout que c’est cyclique, des mecs reviennent avec de la trap de 2010, faut pas forcément se bloquer.
Entre rappeurs français influencés par Detroit, ça se passe comment ?
H : On se connaît tous directement ou indirectement.
F : On voit le truc avec un côté fédérateur, si on pouvait faire un feat avec tout le monde comme un royal rumble au catch on le ferait. C’est une micro scène, on ne va pas se diviser.
Jusqu’au jour où un seul va percer et les autres vont le détester.
F : (rires) Franchement non ! Quand un mec que j’aime bien prend en ampleur, je suis plutôt content, je n’ai pas ce truc de vouloir le garder pour moi. Pareil pour tout, au ciné, je n’ai rien contre les blockbusters. Les deux premiers Fast & Furious, j’aime bien (rires).
Un autre aspect que vous assumez pas mal c’est le côté rappeurs fans de rappeurs.
H : Je me suis embrouillé avec des fans de Gims quand il a sorti son t-shirt « I’m not a rapper » (rires). Je capte pas comment on peut avoir le discours « je suis un artiste, je ne suis pas un rappeur ». T’imagines un footeux dire « je suis pas un footballeur, je suis un sportif » ?
F : « Vous savez pas, à tout moment, je peux jouer au basket. » (rires)
H : On n’est pas les porte-étendard de quoi que ce soit mais faut être reconnaissant sur ce que la musique t’apporte, là si on est assis avec toi, c’est grâce au rap. En plus, on a la chance d’être tombés sur Lil Wayne très jeunes et c’est un mec qui a feat avec toute la Terre ! Donc ça t’ouvre à plein de styles. Ensuite, t’as l’attachement pour le perso qui fait que tu le suis dans tout ce qu’il fait ; quand il a eu sa période rock, ça m’a amené au rock. Pareil, si demain Alpha 5.20 revenait avec un album rock…
Ce serait terrifiant.
H : Ce serait sûrement pas bien mais je serais quand même content !
F : Quand j’écoutais Les Rappeurs sont des chattes d’Alpha…
F : Ouais j’ai tout retenu et j’ai écouté derrière parce que je me disais « s’il aime ce rappeur, faut que je teste ». Éclectique de fou en plus : Sacramento, Memphis, Scarface, Master P, je peux me faire une culture musicale juste avec ça. Le name-dropping, c’est aussi ça. Mes grands frères s’ils entendaient Joey Starr citer quelqu’un, fallait qu’ils se démerdent pour capter qui c’est puis sortir acheter le cd, aujourd’hui en 2 clics, c’est réglé. Ou alors c’est que t’es flemmard.
Ca a dû vous briser le cœur quand il dit « Master P roi de la Nouvelle Orléans, c’est pas Lil Wayne »
C’était un grand débat ça ! Mais en vrai, ils s’aiment bien les deux. Birdman disait que Master P habitait une rue parallèle à la sienne et qu’en cas de souci, il pouvait lui demander un service.
F : Les rappeurs sont quand même moins bons chez No Limit. Cash Money, que des petits prodiges précoces. Mais je pense qu’Alpha aime bien Lil Wayne quand même. Peut-être pas la période jean serré, mais d’autres trucs. Et la réussite en indé. Master P avait aussi ses films en indé…
Ah oui, Hot Boyz et compagnie.
F : C’était cool ! Ça m’a étonné qu’il accepte un petit rôle dans 60 Secondes Chrono, il se fait victimiser par le grand muet et se fait brûler sa caisse (rires).
Vous vous appelez Famille Nombreuse mais vous êtes 2, c’est aussi pour la vanne ?
F : oui et non parce que lui comme moi, on vient de famille nombreuse chacun. Avant, on s’appelait EVD, Extraterrestres en Voie D’apparition, mais on s’est dit que ça vieillirait mal.
H : on est assez critiques sur nous-même donc même pour le blase, on se prenait la tête. On se dit qu’en visant la lune au pire, on touche les étoiles, mais nous ce qu’on veut, c’est quand même la lune.
F : ce genre de phrases…
Très discours de motivation.
F : Ouais c’est ce que sortent les mecs dans leurs podcasts sauf qu’ils parlent à personne, juste une caméra et après ils te vendent une formation chelou (rires)
H : Pour revenir au truc, le vrai souci c’est que Famille Nombreuse ça fait « FN »
C’était ma question suivante (rires)
H : (rires) on s’est dit merde…
Obligés d’insulter Rieu et Bardella pour se démarquer, je comprends.
F : À l’époque on insultait Philippot quand il était encore chez Marine.
H : On a réglé le truc en mettant en slogan « votez Famille Nombreuse et pas le FN », à la rigolade. C’est notre façon de voir la « politique » si on veut.
F : Les rappeurs qui apostrophent les politiques mais en gardant leur point de vue sans chercher à être sérieux, c’est génial. Alpha qui dit à Sarkozy « Tu peux pas gérer le pays tu t’es fait baiser ta femme, des pêcheurs t’ont insulté »…
Il l’appelait Chicken Little quand il était Ministre de l’Intérieur, c’était beau.
F : Cette époque où Sarko était la cible de tout le rap français c’était magnifique, mais sans se dire « attention on parle d’un sujet de société alors soyons conscients ». Ceci dit un mec comme Ekoué, il est pas chiant, Casey pareil. Mais j’ai plus tendance à préférer le 2nd degré. Notamment 5.20 qui dit à la fin de son remix de Nelly Furtado qu’il faut que tous les renois fassent 8-9 enfants pour conquérir la France (rires). Ça pourrait sortir aujourd’hui sur insta et les gars le prendraient pour un fou dangereux, « regardez ce que ce rappeur a dit ! » (rires).
C’est peut-être parce que vous avez été bercés au rap de la 2e moitié des années 2000 que vous avez cette habitude de donner votre point de vue en jouant le décalage, je pense à des phrases comme « je suis à moitié rebeu, ils m’appellent demi-singe »
F : Ça c’est vraiment des phases qui nous font rire. Y’a un fond de sérieux mais c’est la blague qui fait qu’on apprécie.
H : C’est comme la phase qui suit sur « Medine en 2005 », c’est un enchaînement de vannes.
Lequel de vous deux travaille dans la sape ? Ça explique toutes les phases un peu maniaques sur le drip.
F : C’est moi. C’est vrai que je m’habillerai jamais comme le Medine de 2005. Maintenant il est super bien sapé, stylé, tout est clean, y’a plus de pantacourt, fini tout ça. Pour l’anecdote, c’est une question que Sidi Sid nous a posé direct : « Vous avez quel âge ? Vous avez des têtes de jeunes mais vu vos refs… » etc. Dans le sens où on écoute des sons que des gars qui ont 10, 15 ans de plus que nous écoutent aussi. Pour moi c’est un compliment, ça veut dire qu’on est large. Par contre j’ai pas un cahier des charges « bon là j’ai suffisamment cité Alpha, maintenant je vais passer à Balastik Dogg et puis après ce sera LMC Click », c’est naturel. Et on est conscients de notre place, quand je dis ironiquement « je serais heureux si Alpha 5.20 me diss » c’est ça. Vu le rap qu’on fait, je m’attends pas à être validé par tout le monde, les codes sont différents. Mais c’est bien de rendre ce qu’on nous a donné, c’est pour ça qu’on les cite facilement.
Niveau structure, vous êtes en indé totale ?
F : Vu qu’on vient d’une petite ville, si on devait faire appel à quelqu’un d’extérieur juste pour le mix et le mastering ce serait trop cher. Du coup on a appris à le faire nous-même par la force des choses. Et c’est comme ça pour tout le reste : prods, home studio…
H : Mais on est pas fermés à toute proposition (rires) en fait on espère signer grâce à cette interview (c’est raté, NDLR). A Annecy y’a plein de rappeurs mais pas forcément une scène structurée, organisée.
F : On se connaît entre nous mais la ville en elle-même, 0 structure, aide de la mairie ou je sais pas quoi. Heureusement y’a internet donc on s’en bat les couilles. Et on kiffe notre ville.
De votre point de vue, le rap de Detroit a un avenir en France ou vous le voyez comme une niche ?
H : On pense que ça pourrait prendre la même place que la Drill par exemple, momentanément.
F : Et le côté bounce, les cloches, tu commences à entendre ça chez des rappeurs pas du tout étiquetés Detroit, parce que leurs beatmakers se tiennent au courant je pense, donc ça se répand petit à petit. Est-ce que ça va être un sous-genre à la mode comme l’a été le crunk ? Dur à dire mais une niche peut très bien vivre dans son coin aujourd’hui grâce à internet.
H : T’as des Future, Lil Yachty qui ont un peu mis en avant certains styles d’instrus qui venaient de Detroit. Et encore, « Detroit » ça veut rien dire, c’est déjà quelque chose qui englobe des sous-genres. Icewear Vezzo vient du quartier 6 Mile et leur style est plus lent, très Memphis, un peu Three Six.
F : À Detroit y’a 10 têtes d’affiches on va dire, mais la scène est hyper large. Y’a des pages insta qui recensent tous les sons qui sortent de la ville, jour après jour, et c’est impossible de tout écouter. Du côté de Flint, c’est plus agressif, très épique, tu t’en prends plein la gueule. Est-ce que tu t’imagines toute la France tourner à ça ? Pas forcément, mais quand je découvre Kaaris, je me dis pas que ce style de son va retourner les boîtes de nuit non plus. Tout est possible. A titre personnel, on aime ce qui est brut, quand ça débite avec des intonations qui partent dans tous les sens.
Et si une tête d’affiche s’empare de ce style de manière opportuniste ?
H : Un Drake à la française qui populariserait le truc ? Moi je pense qu’on donnera raison au peuple. Peut-être que ça fera des scores de fou mais ça effacera pas les petits qui étaient passionnés par ces sonorités avant que ce soit à la mode.
F : Et puis c’est pas parce que tu poses sur une prod Detroit que tu vas avoir le style qui va avec, donc ce serait con de voir ça comme de la concurrence. Ce qui peut faire chier c’est un mec qui poserait sur ça sans même savoir d’où ça vient, en opportuniste total. En même temps, est-ce qu’en France y’a pas des gens qui faisaient de la trap avant Or Noir et qui se sont dit « il a pris la lumière » ? Par contre ça peut être cool pour les beatmakers. Entre rappeurs y’a de l’ego, c’est compliqué de dire « je m’inspire de X, j’arrive après Y » mais donner des fleurs à un beatmaker expert de Detroit, ça c’est très faisable.
On est d’accord que pour quelqu’un qui a commencé le rap de manière « classique », le fameux shit talk, c’est du travail ?
H : Exactement. En fait c’est pas que le flow est hors-temps, c’est que le mec est dans ses temps à lui. Une fois que t’as capté ça, tu cherches à savoir comment ils font et tu bosses ce style.
F : Et ça permet de varier, sinon tu te fais chier. Ce qui est magnifique, c’est de tenir un flow ou une mélodie et d’un coup de dérailler, se mettre à « parler » puis retomber sur ses pattes. Ça peut agresser l’oreille mais ça souligne la phrase grâce à la rupture.
Ça a modifié votre manière d’écrire ?
H : On a toujours été dans l’esprit egotrip habituel « on est les plus forts », donc quand on pose sur ce style, on doit être aussi les plus forts dans la connerie. Aujourd’hui on le fait naturellement. Au début notre entourage comprenait pas, ils voyaient ça comme de la récré, « quand c’est que vous allez arrêter de poser comme ça » (rires). L’un d’entre eux nous a dit que le problème pour lui, c’est que c’était trop facile dans le sens tout le monde peut « parler sur une instru ». Je lui ai dit très bien, alors fais un son comme ça et si tu le fais, j’arrête. Il est revenu une semaine après et il a pas réussi, parce que c’est du taf.
F : C’est un entraînement mais le but c’est justement que ça paraisse « trop facile ». Sauf que les vannes c’est notre humour, la façon de tomber sur le beat, etc, c’est pas fait au hasard.
Parfois on peut croire que vous vous mettez au défi de sortir une phase encore plus conne que la précédente.
H : Non, pas vraiment.
F : Si, arrête de mytho (rires). On est assez fans de Jackass donc on se met des défis et on se chauffe facilement. Quand on a des fous rires en studio c’est gagné. Et c’est collectif parce que quand on fait du passe-passe, parfois c’est moi qui trouve sa phrase et inversement.
H : Il va me dire « là j’en ai une, si tu la dis t’es chaud ». Bon des fois on en enlève aussi (rire). Lui il m’a donné la phase « je mange un chien chaud, juste au goût je peux te dire qu’il est castré » par exemple. Et moi des fois j’en trouve mais je peux pas les dire, vu que je suis d’une famille musulmane, je me vois pas rapper « si mes parents avaient plus baisé on aurait pu être 4 comme les Dalton »
F : Alors que moi c’est vrai que je m’en bats les couilles, mon père écoute parfois, il dit « c’est quoi ces conneries » mais ça passe (rires). Du coup c’est moi qui me tape toutes les pires phases, comme ça lui il peut dire à sa famille « non mais ça c’est Tristan ».
H : « c’est pas moi ! » (rires)
« J’ai la même gueule qu’un blanc raciste du Kansas », ça revient plusieurs fois, t’aimes vraiment pas ta tête ?
F : Et bah ça tu sais quoi, c’est à cause de toi.
Hein ?
Un jour je regardais une émission et tu dis à Raphaël Da Cruz qu’en gros y’a des blancs dans le rap, pour se trouver un style de bad boy, ils disent qu’ils sont motards, et après tu lui sors que lui-même a les cheveux longs comme un blanc raciste du Sud des USA (rires). D’où la rime « je me suis fait pousser les cheveux pour ressembler à un blanc raciste » et tous les dérivés.
H : Y’a aussi l’influence Roi Heenok, le côté « on n’est pas supposés être dans tel type de voiture mais on y est quand même et on va le dire » avec toutes les phrases sur les armes/montres/voitures de nazis, etc.
F : Je pourrais rapper « pour ma street cred, j’ai acheté une moto » (rires)
Mais tu pourrais pas dire comme Orelsan « depuis j’ai vu 8 Mile je rêve d’habiter dans un mobile-home », même pour rigoler.
F : ah non.
Parlez-moi de cette haine d’Eminem, ça va des lyrics au décor de clips (on peut voir un sacré poster dans la vidéo Duo Zynamique)
F : En ce moment il est chez moi, c’est un jeu de fléchettes. Des fois on taille des gens parce qu’on aime vraiment pas leur son, Eminem c’est plus compliqué. Même si on l’a pas écouté autant que d’autres, il avait ce personnage plein d’autodérision et il a inspiré des rappeurs français qu’on a écouté. 2 connards dans un abribus des Casseurs Flowters, ça nous parle. Bon ce que Eminem fait ces dernières années par contre je trouve ça vraiment pas ouf.
H : Le côté Rap God, records de mots prononcés, ça force pas mal. Pour les phases, on a poussé ça au point où on se prend tellement pour des mecs de Detroit qu’on le déteste façon « t’es pas de chez nous » (rires)
F : Le point de départ c’est quand je dis « j’écouterai jamais Eminem parce qu’il est blanc », pour rendre le délire encore plus absurde.
Pour J.Cole par contre c’est vraiment sa musique que vous n’aimez pas.
H : C’est l’inverse de notre musique, mais depuis qu’il est à la NBA il est moins chiant.
F : Et c’est marrant parce que les fans de Cole sont super 1er degré : « comment vous pouvez dire ça alors que vous rappez même pas dans les temps » (rires). C’est comme quand je dis « mon rappeur préféré c’est Youssoupha, non je déconne », ça veut juste dire que c’est pas mon style mais y’a évidemment rien de méchant ou de perso derrière.
H : Le meilleur exemple c’est notre rapport à New York. Nous nos préférés de NY, c’est Dipset, sauf que Dipset c’est pas vraiment le New York des puristes.
F : La façon de rapper de Cam’ron, les phases « j’ai tellement de fourrures, mon placard c’est un cimetière d’animaux », des gens disaient que c’était la déchéance du rap new yorkais mais je trouve ça vraiment bien écrit. Les rappeurs et les fans avaient cette façon de dire aux autres arrêtez d’imiter le South, le vrai rap c’est New York, genre si tu fais ça c’est plus noble… Dipset c’est New York mais c’est pas la noblesse (rires). Par contre je me suis toujours demandé comment Santana posait son bonnet façon couronne sur sa tête. On dirait le bonnet d’Adebisi, c’est incroyable.
Sur 5 Dessus : il y a plusieurs reprises d’instrus connues mais remaniées, c’est aussi quelque chose qui vous parle ?
F : C’est une ref à Babytron sur Next Level qui rappait sur plusieurs prods qui s’enchaînaient dans un même morceau. C’est un exercice qu’on aime bien, ça donne une bonne dynamique. Enchaîner des remix de Five on it, Hot in herre, Hate it or love it, Lose yourself, Ghostbusters c’est sympa.
Le shit talk en live, c’est quelque chose de particulier non ?
F : C’est vrai que ça peut être un souci avec ce style de flow, surtout que j’ai aucun souffle.
H : Là vu que je le back, il peut repartir tranquille sur la mesure suivante.
F : Si je le faisais seul je laisserais des trous dans le texte, ce serait pas ouf. Quoique, ça peut être un style, comme les morceaux US à la radio, je dirai que c’est de la censure, des gros mots (rires).
Vous utilisez pas mal l’humour mais si quelqu’un vous dit qu’il aime votre musique parce que c’est du rap parodique, vous réagissez comment ?
H : Ce serait une incompréhension, ouais. Ils auraient pas capté ce qu’on essaie de faire passer. Y’a un boulot pour donner du coffre à la voix, travailler les placements, caler certaines réf… Si avec tout ça un auditeur se dit ok, c’est des humoristes ou des comédiens, bah c’est qu’on aura raté notre coup ou que lui a raté son éducation musicale, ou les deux. Dans un autre genre c’est déjà arrivé que des gens nous demandent presque de nous justifier, en nous disant plus ou moins qu’ils comprennent pas trop notre musique ou notre style. Même sur des détails, pourquoi on parle en Zi, etc.
F : Moi je veux juste pas être comparé à Fatal Bazooka (rires). Y’a un commentaire qu’on a kiffé, c’est un mec qui disait « Famille Nombreuse je sais pas s’ils sont très cons ou l’inverse, mais ils sont trop précis dans leurs réf pour que ce soit juste du hasard ». C’est la longévité qui fait la diff, si tu penses que c’est parodique mais que l’artiste reste année après année à envoyer du son, forcément tu vas le prendre plus au sérieux. Mais c’est vrai que des fois on se dit « cette phrase là, elle est juste bête, on la vire », en gros faut du dosage, on cherche pas non plus à se caricaturer pour être les plus gogols de la Terre, même si on kiffe l’humour.
H : En plus ce serait forcé, donc cramé. On veut rapper comme on est. Ca nous amène déjà à pas mal de conneries : à un moment je devais partir du studio pour aller à la salle, il restait 10 minutes, c’est parti en « on doit faire un son en 10 minutes », je mettais mon short en cabine devant le micro pour pas perdre de temps, n’importe quoi. Des belles histoires.
La phrase qui a le plus tourné c’est le fameux « j’en ai rien à foutre du Jazz, putain je sais même pas c’est qui les Beatles », ça a dû renforcer les doutes sur votre sérieux (rires).
F : En vrai c’est inspiré par Gucci Mane qui disait « j’ai repeint ce mec comme Mozart ». Tant mieux si les gens se posent la question sur le côté sérieux ou pas, mais si tu te poses la question trop longtemps sur certaines de nos phases c’est que t’es un peu ouf.
Il y a aussi le prolongement dans l’image, dans le sens où vous vous amusez pas mal dans vos clips.
F : C’est ce qu’on disait tout à l’heure avec la nouvelle Blaxploitation, Master P etc. Ils avaient pas le budget mais ils surjouaient et ça casse le côté limité de la chose. On est pas des acteurs, donc on s’est mis en scène façon Black Dynamite. Makala fait un peu ça dans certaines vidéos, il va à fond dans son délire.
H : C’est une réalité qu’on prend en compte malgré tout. On veut pas être vus comme parodiques. Quand je vois certains clips période Neochrome, Alkpote déguisé en boucher avec des volailles autour de lui, on se posait pas la question « est-ce qu’il est sérieux ou pas ».
F : On peut se déguiser pour déconner mais on n’a pas de volonté de se cacher tout le temps derrière un personnage.
Qui joue la grand-mère dans le double-clip Lasagnes/Duo Zynamique ?
F : C’est le poto qui était là tout à l’heure. Ma meuf l’a maquillé.
Ah ouais ? Bravo, il est… méconnaissable.
F : Ça lui fera plaisir ! En fait on lui a demandé et elle a dit « c’est Doug qui marcherait mieux en grand-mère mais faut qu’il rase sa barbe » du coup il l’a fait. Dans le clip de 5 Dessus, un autre pote a le masque d’Eminem, on lui a dit on va te mettre dans un trou, il avait un nouveau jean, il sentait des insectes se faufiler mais il y est allé aussi. C’est le côté Jackass et aussi le côté Famille Nombreuse finalement, même pour ceux qui font pas de musique, ils sont avec nous.
Il y a un running gag niveau faux papiers : « sur mon permis je m’appelle Sandrine », « Cachin sur ma carte de crédit », « j’ai acheté des faux papiers je m’appelle Alpha Wann », « je comprends les trans depuis que sur ma carte de bus j’m’appelle Thérésa » ça vient d’où ?
H : C’est notre version du scam rap (rires). Les mecs parlent en détails d’arnaque de cartes de crédit, changement d’identité etc. On a exagéré le truc sans se prendre au sérieux.
J’espérais la réf à McLovin.
F : Ah… quel film, Superbad. Avec le slogan des affiches françaises « on veut du cul ! » (rires).
H : Je pense que j’aurais fait la ref mais en mettant mon vrai blase et personne aurait deviné.
F : J’aurais dit Boubacar juste parce que dans le film le perso dit « j’hésitais entre ça et Boubacar* ».
Vous trouvez vraiment que Rihanna a un « front de chauve » ?
F : En fait c’est parti d’une vidéo de Kevin Gates où il disait « kiss on your forehead ». On finissait le morceau en parlant du front de Rihanna pendant une minute entière avec des conneries « bisous sur ton front, kevin barrière, kevin portail », on continuait en boucle et nos gars nous ont dit stop c’est trop long.
H : Je me prononcerai pas sur son physique, madame est juste à côté et on a déjà les fans de J. Cole sur le dos.
« Avant le beef avec Drake je savais pas qui était Pusha t » sur celle-ci j’ai eu le doute quand même.
H : La vérité c’est que c’était pour la rime, ça, et le côté ignorant imbécile heureux, comme la rime sur les Beatles un peu. Vu nos goûts t’as raison, on n’est pas à fond sur Drake, ce serait étrange, c’est l’opportuniste par excellence…
F : Mais on l’apprécie par rapport aux débuts chez Cash Money, c’est affectif.
H : En plus The Clipse on les a connus avec les gros albums du Sud, le feat avec Birdman, les Neptunes… C’est marrant, ils sont connectés au début, puis Lil Wayne commence à lui aussi être dans les délires Bape et cette imagerie, Pusha T se met à tailler Cash Money sur le côté suiveurs, Kanye veut pas s’en mêler vu que Birdman l’a hébergé et qu’il voulait produire des sons de Lil Wayne, et tout retombe sur Drake. Sacrée histoire.
Lil Wayne qui assume d’être fan d’Eminem, vous le prenez comment ?
H : Je vois très bien la vidéo, c’était chez Tim Westwood je crois. Il hallucine qu’il y ait Gucci dans le classement top 5 meilleurs rappeurs et pas Eminem. Forcément Gucci c’est son gars depuis longtemps donc il peut pas non plus le descendre, le son Steady Mobbin est monumental… mais tu sentais que Weezy était choqué, il est fan d’Eminem.
F : On espère qu’il va faire une The Game, se mettre à subitement diss Eminem sans aucune raison (rires).
« Il casse les couilles Nekfeu, j’aurais pu faire rimer ça avec garde du corps » vous avez vraiment le côté consciencieux du mec qui retire une rime s’il l’a déjà entendue ailleurs ?
F : Quand tu cherches des multi-syllabiques, tu tombes sur du déjà-vu. Ça m’est arrivé plus jeune avec des rimes que Alk avait déjà faites. Et pour moi la rime garde du corps/gare du nord, elle appartient à Nekfeu, c’est bon, il l’a même fait rapper à Marion Cotillard dans un sketch, c’est pas possible de la reprendre genre t’es pas au courant. Ça fait partie de ces rimes « déposées », alors que d’autres, je sais pas, tyrannie/Miami, ça a déjà été fait mais c’est pas grave, c’est moins marqué.
H : Pareil, AK et caca, c’est la propriété officielle de Lacrim.
« Il dégoûte le mot Sizzurp » c’est la première fois que je tombe sur des puristes de la lean.
F : C’est la sur-utilisation. C’est comme Purple Drank. J’avais vu un film avec Justin Timberlake, je sais plus le titre, mais en VF t’entends « machin est à l’hôpital, il a bu du purple drank pour faire comme Lil Wayne », à partir de là c’est plus possible, l’expression est morte (rires)
H : Par contre quand on dédicace Big Moe ça vient de Lil Wayne, il a une phrase, que j’ai reprise, qui dit « je bois du Pimp C, je sirote du Big Moe ». Forcément tu va chercher ensuite qui c’est et bim, grosse claque.
F : Quand Jeune LC dit « Tupac dans ma fumée, Pimp C dans mon verre », tu captes l’origine de la phase, t’es content, tout se rejoint. C’est comme un bonus à l’écoute.
Jour de pluie fait un peu figure d’exception pour l’instant, dans le sens où on a presque l’impression que vous « tombez le masque » niveau interprétation.
H : Ça se rapproche un peu de la « ambient detroit » avec cette ambiance un peu pluvieuse justement, Baby Smoove pose pas mal là-dessus. Le snare est très bas, le kick aussi, ça laisse plus de place à la voix et ça dégage plus d’émotions. Je voulais qu’on tente un son comme ça. La prod nous a orientés en terme de façon de poser et ce qu’on raconte dessus, mais on s’est pas dit « soyons émotifs ou plus transparents ».
F : De la même façon que la Flint nous engrène à être des malades mentaux, que la 6 Mile c’est plus egotrip luxueux… Des fois c’est inexplicable, y’a des sons Maybach Music où Rick Ross t’explique comment il découpe des fruits ou autre, et l’ambiance du son, comment il en parle, tu te dis « il mange vraiment des fruits comme un riche » (rires). Pareil, il a un son où il parle des pieds nus d’une meuf sur son sol en marbre, genre c’est vraiment là que tu réalises que t’as réussi.
*en fait en VF le personnage dit qu’il a hésité avec Babacar car « c’est très en vogue en Afrique » et en VO c’est Mohammed car « c’est un des prénoms les plus répandus dans le monde ». Soyons précis.